(...) Une
étude genevoise montre que le poids d’un individu est lié à celui de ses
voisins.
Une
cartographie qui permettra de mieux cibler les campagnes de prévention.
L’étude montre qu’il existe une correspondance entre le poids d’un individu et
celui de ses voisins, un rapport qui ne peut pas s’expliquer par le simple fait
du hasard. Ce rapport tend à être défavorable sur la rive droite du Rhône et à
l’ouest de la Praille: c’est en effet essentiellement dans les communes de
Meyrin, Vernier, Onex et Lancy que l’on trouve le plus de sujets en surpoids.
Ceux-ci présentent un IMC proche de 25, ce qui correspond, pour un individu de
1,75 m, à un poids supérieur à 76 kg. En résumé, les habitants de ces
régions présentent un IMC dépassant la moyenne cantonale, et leurs voisins
aussi.
A l’inverse, on note une tendance individuelle et collective à se situer au-dessous
du seuil du surpoids sur la rive gauche, en particulier dans le quartier des
Eaux-Vives, dans les communes de Chêne-Bougeries, Carouge et Troinex, mais
également à Cologny, Vandœuvres, Collonge-Bellerive, Meinier et Corsier. «Notre
étude montre que le surpoids n’est pas distribué aléatoirement à Genève,
affirme Idris Guessous. Si vous habitez dans le canton, votre poids dépend de
celui de vos voisins.»
Publiés lundi dans la revue Nutrition & Diabetes, du groupe éditorial
Nature, ces résultats restent valables après ajustement au niveau
socio-économique, c’est-à-dire que ce seul paramètre ne suffit pas à les
expliquer. Il existe tout de même, au dire des auteurs, un «clivage
spectaculaire» entre les quartiers populaires et les quartiers aisés, les seconds
étant grevés d’une moindre prévalence du surpoids. Globalement, plus de 12% des
adultes et 2% des enfants sont concernés. D’après Idris Guessous, très peu
d’études auraient été menées dans le monde de façon aussi détaillée, «presque
quartier par quartier», le poids de chaque participant ayant été comparé à
celui de ses voisins dans un rayon de 1,8 km de distance. La recherche a
porté sur plus de 6000 adultes et 3600 enfants, entre 2001 et 2011, avec la
collaboration du Laboratoire de systèmes d’information géographique de l’Ecole
polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Il n’a pas échappé aux autorités cantonales que ce «mapping» du surpoids
pouvait représenter un outil intéressant pour mieux cibler certaines campagnes
de prévention. En effet, en étudiant les zones d’habitation «à risques», il
devrait être possible d’affiner la compréhension du phénomène du surpoids et de
l’obésité, ce qui permettrait ensuite de concevoir des interventions locales et
spécifiques, presque «chirurgicales». «Il est connu que pour être efficaces,
les messages sanitaires doivent être adaptés à leur public cible», explique
Laurent Paolellio, secrétaire général adjoint du Département de l’emploi, des
affaires sociales et de la santé (DEAS). «On sait depuis longtemps que le statut
économique et le contexte socio-éducatif sont des déterminants de l’obésité.
Mais cette étude souligne l’importance de l’environnement urbain. A force de
recoupements, on espère pouvoir cerner encore mieux les causes.»
Jacques-André Romand, médecin cantonal, pense également qu’il convient de
«superposer» ces résultats avec ceux de précédents travaux. En 2007, par
exemple, une équipe de chercheurs de la Harvard Medical School de Boston avait
déjà observé, dans les agglomérations, un phénomène local de surreprésentation d’individus
en surpoids. Réalisée sur plus de 12 000 personnes, l’étude révélait que dans
les couples faisant ménage commun, lorsque l’un des deux partenaires devient
obèse, le risque pour l’autre de le devenir à son tour est de 37%. Mais un
semblable effet de contamination entre voisins n’avait pas été rapporté.
«Il serait intéressant de prolonger cette étude par un suivi des participants»,
déclare Jacques-André Romand. «On pourrait ainsi cerner plus exactement
l’importance de l’environnement géographique. Par exemple, est-ce que le fait
de changer de quartier influence à long terme le poids d’un individu? En tant
que médecin cantonal, je serais curieux de le savoir. On a constaté, par
exemple, que si la prévalence du cancer de l’estomac est élevée en Asie, les
Asiatiques qui émigrent aux Etats-Unis sont davantage sujets aux maladies
cardio-vasculaires à partir de la seconde génération.»
«Cette étude est passionnante car elle confirme l’existence d’une cause
structurelle à l’obésité, ce qui justifie des interventions autres que des
messages sanitaires tels que la création d’espaces verts et de pistes
cyclables», déclare la psychologue et diététicienne Magali Volery, fondatrice
du Centre de consultations nutrition et psychothérapie (CCNP) à Genève. Une
nuance toutefois: le critère retenu, à savoir l’indice de masse corporelle, est
certainement associé de façon générale à des risques accrus pour la santé, mais
il n’est pas absolument pertinent au niveau individuel: les personnes sujettes
à l’embonpoint ne se portent pas forcément plus mal que les autres, la pratique
d’une activité et une bonne hygiène de vie comptant au moins autant que le
poids, si ce n’est davantage. «C’est là une limite des études
populationnelles», précise Magali Volery.
Francesca Sacco, dans "Le Temps" (Suisse), 12 mars 2014
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